Rencontre avec Jean-Gabriel Causse, spécialiste de la couleur.

jean gabriel causse design couleur livre rencontre color

La couleur a toujours eu une part importante dans le travail du studio. On dit qu’on aime ou qu’on aime pas la couleur, en tout cas elle ne nous laisse pas indifférent. Elle revient en force dans les projets d’architecture d’intérieur, de conception, de design. Je pense au travail d’Hella Jongerius, designer néerlandaise basée à Berlin, exposée à Lafayette Anticipation pour présenter ses recherches autour du textile. Aux projets d’intérieur d’India Mahdavi, toujours plus contrastés et vibrants les uns que les autres. Ou à la dernière exposition de Beaubourg autour de Matisse, pour ne citer que les plus reconnus. L’ouvrage L’Étonnant Pouvoir des Couleurs de Jean-Gabriel Causse a permis de mettre des mots sur cette fascination pour la couleur et l’énergie qu’elle transmet. Nous avons eu la chance de converser avec lui, de passage à Paris, avant ce deuxième confinement en Octobre. Bonne lecture !

De quelle manière vous présentez-vous ?

J’ai plusieurs casquettes, j’écris des romans, je travaille sur la couleur, en conseil en communication pub, je fais du design… Je dirais que je suis un touche-à-tout, avec la couleur au centre.

Comment allez-vous ? Comment se passe votre activité dans cette situation complexe ?

J’ai la chance d’avoir plusieurs cordes à mon arc, pour me permettre de garder l’équilibre. Ma structure est légère, avec des collaborateurs indépendants. Ce qui me permet de m’adapter, de travailler avec les meilleurs free-lances selon les sujets et de réduire la voilure quand la conjoncture l'impose. Etant souvent à l’étranger, j’ai fait le choix de ne pas avoir de bureau fixe.

Avez-vous une vision sur la situation dans d’autres pays, à l’international ?

Je travaille beaucoup avec la Chine et le Japon. En Chine tout est bloqué. Je travaille principalement dans le textile pour le Japon, qui, en marché interne fonctionne bien, mais à l’export est arrêté. De manière globale, le textile est vraiment sinistré. J’espère que ça va redémarrer très bientôt.

Auriez-vous envie de me parler d’un projet qui vous plaît sur lequel vous travaillez en ce moment ?

Le projet qui me tient à cœur dans mon actualité ce sont les peintures. Je suis directeur artistique des peintures pour murs et boiserie Perrot & Cie. Ça démarre plutôt bien, nous avons des architectes d’intérieur qui nous suivent. Nous avons étroitement collaboré avec les compagnons du devoir pour la formulation. Il fallait être sûr de notre produit, car c’est une chose d’avoir une jolie couleur mais encore faut-il que ça tienne durablement sur un mur et qu’elle soit facile à poser.

En cet automne conflictuel, nous conseillez-vous une couleur particulière ?

La couleur que je vous conseille c’est celle qui vous plaît. Chacun a ses propres couleurs, que ce soit de manière innée ou acquise, par la culture, l’environnement personnel… Disons simplement que les couleurs que je vous déconseille de porter sont le noir ou le gris. Mon message essentiel c’est d’oser la couleur car elle vous fait du bien. Il ne s’agit pas de porter du vert, du orange ou du bleu. Lorsque vous êtes en vacances vous vous orientez plus naturellement vers la couleur, il faut tenter de continuer même quand vous travaillez.

Je remarque dans mon entourage que mes amis s’habillent essentiellement de noir. Ils/elles me répondent que dans leur environnement de travail il est difficile de s’exprimer vestimentairement par la couleur car ils/elles risquent d’être mal vus/es.

C’est vrai. C’est en train de changer, notamment grâce à la Silicone Valley en Californie. Les gens remettent beaucoup de couleur. Et comme souvent la mode vient des Etats-Unis, il y a de bonnes chances que ces mœurs évoluent. Et qu’on retrouve la couleur comme on la portait dans les années 80.

C’est vrai que tout est noir, les voitures, les manteaux...

Cela malheureusement nous fait encore plus… broyer du noir !

J’ai une question pour celles et ceux qui s’intéressent à la couleur, auriez-vous des ouvrages à leur conseiller ? Mise à part le vôtre bien sûr.

Il y a bien sûr Michel Pastoureau, un historien de la couleur que j’ai eu la chance de rencontrer plusieurs fois. Je vous conseille également de lire les ouvrages d'Annie Mollar-Desfours, c’est une linguiste au CNRS. Ses ouvrages sont passionnants. Sur les influences de la couleur, je suis très heureux de voir que mon essai « l’étonnant pouvoir des couleurs » est recommandé dans les écoles d’architecture et de design.

Quel chemin avez-vous emprunté pour vous spécialiser dans cette matière ?

C’est un concours de circonstances, avec ce monde actuel où on fait tous plusieurs métiers. Au départ j’étais publicitaire et j’ai lancé une agence conseil en communication par la couleur. La petite histoire c’est qu’un jour j’ai renversé du vin rouge sur mon T-shirt blanc et je me suis dit «tiens un T-shirt bordeaux maintenant» ça peut plaire aux amateurs de vins. Et si je dis qu’elle est la réplique exacte du Château Pétrus 89 : «Quelle belle couleur» ! Je me suis dit qu’il y avait un travail à faire autour de la symbolique de la couleur en communication. J’ai lancé une marque de T-shirt Bluebretzel où j’ai reproduit les couleurs où même si on ne les voit pas, on imagine qu’elles sont belles. J’ai reproduit la couleur des yeux de Mona-Lisa, le bleu de la planète bleue, des couleurs tirées de nos références culturelles. Ça a beaucoup plu, ce qui m’a embarqué dans des collaborations textiles un peu partout dans le monde. Et puis un jour, les professeurs Marcel Rufo et David Da Fonseca m’ont demandé de créer les couleurs de leur hôpital de pédopsychiatrie à Marseille. Je me suis senti une responsabilité dans le choix des couleurs. Qu’est-ce qu’on choisi comme couleur dans la chambre d’un enfant dépressif ou sur les murs d'un réfectoire avec des jeunes filles anorexiques. J’ai découvert des données passionnantes sur le sujet, en particulier en neuroscience. J’ai décidé de les vulgariser à travers « l’étonnant pouvoir des couleurs ». Preuve que le sujet intéresse, cet essai est traduit en plus de 15 langues.

Une autre question me taraude au sujet du domaine du textile, comment arrive-t-on à s’introduire et à travailler dans ce milieu très pointu ?

J’ai appris à créer des gammes chromatiques. Par exemple, si vous vendez des polos, même si vous vendrez essentiellement des pièces bleu marine ou des noires, vous n’arriverez pas à écouler votre stock avec celles-ci en vitrine. Alors que vous attirerez la clientèle avec les cinq ou six autres couleurs créées. Je travaille avec le comité français de la couleur, nous réfléchissons aux tendances couleurs, à ce qui va arriver. C’est une association de coloristes, nous sommes une quinzaine qui nous réunissons deux fois par an pour parler couleur. Nous arrivons généralement aux mêmes conclusions. Il y a l’organisme international Intercolor, où nous allons réfléchir aux tendances mondiales. C’est intéressant de voir les grandes marques de mode prendre en compte notre point de vue. Mais c’est la théorie, aujourd’hui avec les influenceurs/seuses, si une personnalité met en avant une couleur, ça peut en propulser une que nous n’aurions pas envisagée.

Depuis plusieurs années le bleu Klein s’est glissé dans de nombreux projets d'architectes d’intérieur. Je me demandais s' il y avait un lien avec la propriété intellectuelle...

Le bleu Klein, c’est avant tout une marque, plus qu'une couleur. Le bleu en question est très proche du bleu outremer. Klein a déposé une couleur à son nom. Mais entre le bleu Majorel, le bleu Klein ou Sarah Lavoine, il n’y a qu’une infime différence. C’est davantage l’image de la marque qui met la valeur du beau dans le regard du public. On achète une caution plus que véritablement une couleur. C’est un bleu très intense, qui a toujours existé et qui existera toujours.

Nous arrivons à l’ultime question couleur, avez-vous une couleur de pull préférée en ce moment ?

Le vert me plaît beaucoup en ce moment pour les hauts. Pas le vert bouteille mais des verts assez sombres et saturés. Couleur de l’espoir. En public je mets du rose. J’ai fait mes premières télés en rose et je suis resté fidèle à cette couleur depuis.


Quelques projets par la couleur.

La collection de peinture Perrot & Cie. Jean-Gabriel Causse en est le directeur artistique. Les couleurs sont tirées de l’œuvre de Monet, le Parlement de Londres.

La collection de peinture Perrot & Cie. Jean-Gabriel Causse en est le directeur artistique. Les couleurs sont tirées de l’œuvre de Monet, le Parlement de Londres.

Un collage numérique réalisé par ELDÉ pour un projet d’intérieur.

Un collage numérique réalisé par ELDÉ pour un projet d’intérieur.

Le studio de design Buzao a conçu ce mobilier en inox.

Le studio de design Buzao a conçu ce mobilier en inox.

Le Portrait d’une femme en rouge est un projet d’intérieur de l’agence Kierszbaum.

Le Portrait d’une femme en rouge est un projet d’intérieur de l’agence Kierszbaum.

Cette peinture immersive est de l’artiste Flora Moscovici.

Cette peinture immersive est de l’artiste Flora Moscovici.

Une photographie réalisée dans le cadre d’un projet de direction artistique ELDÉ autour d’un concept de verres colorés.

Une photographie réalisée dans le cadre d’un projet de direction artistique ELDÉ autour d’un concept de verres colorés.

Cette œuvre textile est de l’artiste Helen Frances Gregor.

Cette œuvre textile est de l’artiste Helen Frances Gregor.


“Les couleurs ont une beauté propre qu’il s’agit de préserver, comme en musique on cherche à préserver les timbres.” — Henri Matisse

Précédent
Précédent

Benjamin Graindorge, entrevue.

Suivant
Suivant

Metamorphosis